Voilà un récit d’une semaine d’encadrement qui a mis plusieurs années à sortir. J’avais cette histoire tellement en travers que je ne pouvais rien écrire. Mais le temps faisant son œuvre je réussi maintenant à en raconter des bribes en faisant rigoler les gens. Donc il est temps que cela sorte.
C’était il y a quelques années, j’avais eu une expérience très heureuse sur un Bongo à Vannes avec un équipage au taquet, du vent et des bords de spi entre 13 et 14 nœuds sur ce voilier formidable.
Dans les mois qui ont suivi, j’ai voulu réitérer l’aventure et encore une fois prendre mon pied. Félix me donna la liste des stagiaires au nombre de trois, la semaine s’annonçait cool avec du boulot pour tous à bord y compris pour moi.
Me voilà donc en ce samedi ensoleillé d’octobre à vérifier mon bateau pour la semaine. J’étais excité à l’idée de recevoir les stagiaires à 14 heures et de filer sur l’eau avec de bateau radical. Onze heures se pointe une dame d’un certain âge, elle monte dans le cockpit et se présente poliment en me tendant la main : « Bonjour, je suis Dulcinée Machin, je viens suivre votre stage. ». Je réponds spontanément : « Bonjour, moi, c’est Roger. ».
Et là arrive la chose que je ne souhaite à personne.
Elle me répond : « Roger comment ? »
Moi : « En bien Roger Frébault. Pourquoi ? »
Elle : « Ha ! J’avais peur que ce soit un Rachid… »
Vous pouvez relire la phrase, elle sonne encore très nette à mon oreille et je suis sûr des mots. Mon sang s’est glacé immédiatement, je me suis demandé ce qui se passait.
L’importance des vingt premières secondes sont souvent citées en cours de communication.
Ensuite elle me dit que son mari est là (je n’avais alors pas conscience qu’il y avait un couple à bord), et qu’ils peuvent aller faire les courses pour gagner du temps.
J’ai pour une fois été d’une grande lucidité verbale malgré la panique qui m’envahissait. J’ai répondu que non, que pour faire les courses il fallait attendre le troisième stagiaire et qu’ils n’avaient qu’à revenir à 14 heures.
Les voilà repartis.
Je ne sais plus si je suis allé voir Félix immédiatement ou si j’ai tourné dans le bateau avant d’y aller. Toujours est il que lorsque je lui ai raconté cela, je l’ai vu devenir tout pâle.
Cerise sur le gâteau j’appelle ma chère et tendre épouse pour lui raconter et elle me dit : « Chéri, cela va te faire un bel exercice de self control !! ». Je vous jure, moi qui pensais que les bras d’une femme étaient un havre de paix. Me voilà seul…
Bon entre temps, nous avons déjeuné avec l’équipe de la base et l’autre moniteur, la tension est un peu retombée. Le troisième stagiaire avait entre-temps déclaré forfait. La semaine s’annonçait pénible.
14 heures les deux asticots se repointent (hélas)… Voilà madame partie faire les courses avec des stagiaires de l’autre bateau (c’est la seule fois qu’il y aura un contact avec l’équipage de l’autre bateau malgré la navigation de conserve que nous avions envisagé).
Monsieur m’aide pour l’inventaire. C’est un stage « Trois voiles Horizon perfectionnement manoeuvre » et il faut que j’explique certains trucs sur l’inventaire.
Nous voilà partis, comme les courses étaient déjà faites, nous avons je pense fait un mouillage dans le Golfe. Franchement, je ne me rappelle plus et ce n’est pas important.
Du niveau des deux affreux, en étant très gentil, je pense que qu’ils devaient avoir un niveau 1 et encore… Sur un Bongo 9.60 debout sur les varangues avec un couple autour de la soixantaine ça allait être compliqué.
En discutant un peu plus avec mes équipiers de la semaine, j’apprends qu’après un interlude d’une dizaine d’années, ce couple voulait relouer un voilier et voulais faire quelques manœuvres. Madame, dont la capacité de réflexion est planquée au fond d’une cruche et dont le niveau ne monte pas plus d’un millimètre, avait inscrit le couple par Internet et en voyant le mot « Manoeuvres » dans le nom du stage s’y était inscrite sans lire plus avant les prérequis.
Dimanche brise légère, mouillage à Houat. Lundi brise légère : Sauzon, Mardi ça commence à souffler et du 6-7 est annoncé pour le reste de la semaine. C’est trop dangereux pour l’équipage nous rentrons dans le Golfe pour nous mettre à l’abri.
A ce jour j’ai animé environ 25 stages, j’ai parfois eu des stagiaires qu’à la fin de la semaine j’ai envie de coller entre le mur et le papier peint. Mais c’est la seule fois, que le mardi, j’en avais vraiment ras la casquette.
Dans la baie de Quiberon cela souffle déjà un peu, je suis à la barre, 1- pour me faire plaisir, 2- pour la sécurité. C’est rafaleux et aucun ne saura réagir convenablement et à temps pour éviter un accident. La preuve :
Nous voilà sur un dernier bord dans la baie avant de rentrer dans le Golfe. Le vent force, le bateau gîte, gîte, gîte. Elle est en charge de l’écoute de grand voile, je lui dis qu’il faudrait peut-être choquer… Et là sublime, apocalyptique, elle se retourne vers le piano et elle ouvre tous les taquets spinlock…
Avec stupéfaction j’ai dû crier quelquechose, sans doute pas très gentil. La bôme est tombée sur le pont, le génois est descendu dans l’eau sous le vent. Le bateau s’est redressé. Que voulez-vous que je fasse ? Une telle stupidité : c’est à se demander si je ne suis pas l’acteur d’une caméra cachée.
C’est décidé je vais plus me faire ch… Je vais faire un truc qu’on ne fait jamais avec les Glénans, remonter la rivière d’Auray jusqu’à Saint Goustan, deux heures de moteur. Mardi soir resto pénible en face des deux affreux.
Mercredi on fait le tour de l’île aux Moines à 15 heures on est au mouillage avec un bouquin.
Jeudi matin elle se foule la cheville sur une varangue. On va vite fait faire le plein au Crouesty et en repart mouiller le plus près possible de Vannes.
Vendredi matin alors que la dernière écluse possible est à 11h30, j’y suis à la première à 8h30.
D’habitude le vendredi ce n’est jamais moi qui tiens la barre, et c’est toujours un stagiaire qui fait la dernière manœuvre quelquesoit le niveau du stage. Ce jour là j’avais trop peur que monsieur se tanque sur le bord du chenal assez étroit du port de Vannes. J’ai donc tenu la barre du mouillage au ponton.
Dans l’histoire du largage généreux des taquets du piano, la grand voile avait souffert et s’était déchirée au niveau du premier coulisseau. Je missionnais donc monsieur pour dégréer la grand voile en lui disant qu’il fallait se préparer à l’enlever et défaire les bosses de ris.
Quelques quart d’heures plus tard, j’entends : « ça y est, j’ai fini ». Et là je vois quatre belles glènes lovées proprement sur le roof… et plus rien dans la bôme… Que voulez vous que je dise… ?
Je terminais le parcours en arrivant dans le bassin de Vannes, Félix me voyant arriver si tôt a repris sa couleur blanchâtre du samedi. Lorsque j’ai annoncé à Mike les coups de bosses de ris, j’ai cru qu’il allait exploser.
A midi, le bateau est propre, à 13 heures je suis déjà dans le train. Sale semaine.
Pour en revenir aux vingt premières secondes de notre rencontre je dois dire qu’à l’analyse il n’y a pas de réel racisme vraiment conscient. Il se trouve que ce couple a deux enfants qui ont chacun séparément fait un stage avec le même moniteur qui semble être assez spécial et qui en plus a un nom à consonance maghrébine.
Il y a des cons partout, ce n’est pas une raison pour généraliser et se présenter de cette façon.
En fait cette dame était le plus bel exemple d’une cruche.
Pourquoi je raconte cela maintenant ? Je pense que les évènements récents n’y sont pas étrangers.
Les imbéciles sont dangereux.
Je remercie mon épouse et Félix pour leur soutient cette semaine là. Je remercie aussi tous les stagiaires, les cadres des Glénans, les amis marins à qui j’ai raconté souvent cette histoire jusqu’à ce que je puisse le faire de façon anecdotique et j’espère avec quelques passages marrants.
J’avais déjà entendu de vive voix plusieurs morceaux de ce récit mais je n’avais pas réalisé qu’ils faisaient partie de la même navigation. Quel cauchemar. Je vais quand même faire mon stage pédagogique. Heureusement ceux de ce genre sont minoritaires.