(récit du stage « Découverte croisière » à Paimpol du 7 au 13 octobre 2017)
Sarah, tu nous as offert cette semaine une des plus belles perles de ma modeste expérience de moniteur de voile. Tu as la fraîcheur et l’inexpérience de la jeunesse. Comment demander à une littéraire d’être au fait des calculs mathématiques et de la technologie comme peuvent l’être un pilote de ligne ou un chercheur en physique. Avec ta force de caractère et ton humour je sais que tu ne m’en voudras pas de tout raconter et d’en faire rigoler tes amis qui t’ont offert ce stage pour tes 25 ans. Merci à toi, et en plus tu m’as redonné l’envie d’écrire.
J’ai plusieurs fois voulu tenter l’expérience de partir une semaine avec des débutants sachant à peine faire un nœud. Un challenge pour moi. Par deux fois, il n’y avait pas eu de stagiaires inscrits. Cette fois ci c’était bingo, un bateau bien plein.
Sarah, donc une jeune étudiante en littérature de 25 ans, entourée de cinq mecs dans un Sun Fast 32i tout petit au départ de Paimpol. Gunnar : chercheur en physique, Cyrille : pilote de ligne, Yann : Maraîcher, Laurent : Agent au sol d’une compagnie aérienne et moi le doyen du bord. Encore une fois une rencontre improbable.
Laurent a récemment fait le stage « Les bases de la voile » aux Glénans, c’est le seul. Il est donc bombardé second avec la délicate responsabilité d’être chef de bord au cas où je tombe à l’eau. J’explique aussi à tous qu’il aura le privilège de descendre en premier dans le radeau de survie en cas d’évacuation si le bateau coule ou brûle.
Les Glénans, c’est aussi faire à manger à tour de rôle, et je suis obligé de pousser un peu pour trouver des recettes pour la semaine en évitant les pâtes bolos à tous les repas.
Pour sortir il y a deux alternatives, samedi soir à partir de 19h15 ou le dimanche matin. Partir le samedi, c’est mettre les stagiaires directement dans le bain, mais c’est aussi naviguer de nuit avec des débutants, c’est un risque. Partir dimanche, c’est quasiment perdre une journée de stage, générer une possible frustration. En plus ce soir il y a du vent et demain y en a pas.
J’ai un besoin énorme d’être sur l’eau. L’équipage a l’air sérieux, si je leur dis de faire quelque chose, il le feront – si je l’exprime clairement bien sûr. Et puis il y a Laurent, le second.
Partir à 19h15, cela veux dire écluser. Ce n’est pas une fois dans l’écluse que je vais leur expliquer comme prendre une pendille. Harnachés dans nos vestes de quart, nos harnais et nos gilets de sauvetage, nous allons avant 19h voir comment font les autres bateaux dans l’écluse.
19h10 : Larguez !!!!!
Nous voilà dans l’écluse. Tout le monde sourit, ils ne se rendent pas trop compte. Un autre bateau des Glénans nous suit, nous serons six bateaux des Glénans à sortir ce soir là. Le chenal se fait au moteur dans le soir qui tombe et le crachin qui commence. Le vent se lève, la dernière bouée latérale passée, je n’y tiens plus il faut mettre les voiles. Laurent à la barre et moi en pied de mât, la grand voile est envoyée avec un ris. Le génois sur enrouleur est le luxe uniquement accessible sur les stages pour débutants et une facilité pour moi ce soir là.
Le moteur est éteint, il pleut, il fait déjà noir, on ne voit plus les alignements lumineux à terre. Seul le phare de Los Pic est quasiment droit devant. Dans la pénombre cette satanée tourelle de la Jument pas éclairée est enfin devant moi sur bâbord. On est au portant et on peut tirer tout droit vers le phare. Tout le monde est très sage et tout va bien.
Puis on laisse le phare sur tribord pour descendre vers le sud. L’ombre de la pointe de Minard est là. Encore quelques miles et on va se planquer dans l’Anse de Bréhec pour la nuit. Il doit être 22h00 lorsque l’ancre file à l’avant. Je suis heureux d’avoir un tel équipage. L’ambiance est déjà très bonne et ça rigole déjà à tout va. Cela fait à peine huit heures que nous nous connaissons et nous avons déjà fait une traversée. Le temps s’est arrêté.
Le mouillage est hélas ce soir un peu rouleur, il y a deux estomacs qui crient un peu. C’est l’occasion de raconter l’histoire d’une banane.
Dimanche comme prévu, c’est pétole. On prend un peu de temps pour les nœuds, comment avance un voilier, etc. Puis c’est l’heure de remonter l’ancre. Débutants oui mais costauds, l’ancre du SunFast doit peser 20 kilos et chaque maillon de la chaîne un bon kilo et il y a 15 mètres d’eau. Avec un marnage de 11 mètres j’avais pris un peu de sécurité mais pas trop.
Il y a juste assez de vent pour enchaîner les premiers virements de bord. Il faut juste ne pas sortir de la baie au risque se faire embarquer dans le courant descendant d’un coefficient au-delà de 100.
Le vent se lève et à force de faire tourner l’équipage à chaque poste la routine s’installe. Il n’y a déjà plus besoin de la manivelle de winch. Notre vitesse est suffisante pour étaler le courant qui faiblit, nous prenons la direction de Saint Quay Portrieux. Puis le vent forcit. Adieux la séance avec des empannages, bonjour celle des prises de ris. Tout le monde y passe. Le vent qui tombe, le vent qui remonte, puis qui retombe, nous arrivons enfin en face du port. Est ce que vous voulez refaire quelques virements ou rentrer ? Rentrer !!! Au bout de leur première vraie journée, ils sont rincés et moi aussi. En plus l’amarrage prendra forcément trois plombes, normal… il faut tout découvrir.
L’amitié s’installant le bateau est déjà beaucoup moins petit. Tous effrayés à l’idée de passer une semaine à six dans un aussi petit espace, chacun a déjà pris ses marques et une certaine harmonie s’est installée. C’est déjà l’heure de la première photo de groupe et d’aller débriefer la journée sur le quai.
Lundi, une légère brise d’ouest accompagne le jusant. Nous allons virer le Petit Pen-Azen au nord de Bréhat à la renverse avant d’embouquer le chenal du Trieux. C’est marée basse, le Dehler 32 de Daniel nous suit, il y a des cailloux partout, c’est juste impressionnant pour l’équipage qui est en terre inconnue, seul Laurent a fait une semaine de 5,7 dans le coin. Nous tirons quelques bords plutôt que de mettre le moteur. Nous régatons avec le Dehler. Ça ne rigole pas, il ne faudrait pas se faire gratter par un bateau avec des niveaux trois. Plutôt que d’aller jusqu’à Lézardrieux et accoster en plein courant nous prenons un coffre en face de Coz Castel, l’eau est plate, il fait doux, c’est juste le bonheur.
Mardi nous repartons dans l’autre sens, la mer monte et nous allons au moteur jusqu’à Loguivy. Ensuite c’est le Ferlat avec vent et courant dans les fesses. Puis c’est un peu pétole, deux maquereaux à la maille s’invitent à bord, les autres sont repartis grossir pour l’année prochaine. Où sont passés les steaks à écaille de l’année passée ? A nouveau en face de Saint Quay, les manœuvres de port s’imposent. En plus il y a un peu de vent ce qui pimente la séance. En bout de ponton pour ce soir, demain ce sera dans les catways. Et puis il faut ce pomponner car ce soir c’est resto.
Mercredi, c’est d’abord une série de manœuvres de port dans les catways. Cyrille a envie d’aller voir la haute mer et d’aller tourner autour du Grand Léjon au milieu de la baie de Saint Brieuc. Pourquoi pas, ce sera l’occasion de répéter les empannages. Nous faisons le tour des roches de Saint Quay par le sud. Puis tirons vers le nord vers le Grand Léjon, c’est pile vent arrière, ce n’est pas très confortable. Alors on fait du grand largue et des virements. Puis j’entends parler de spinnaker, il y a un bon force trois et un peu de mer, est ce que je vieilli ou autre chose, toujours est il que je le sens pas trop. On continue le grand largue et les virements. Je fini par mettre les voiles en ciseaux histoire de faire autre chose. Est ce que je vais mettre le spi ?? Et bim !!! la bôme passe de l’autre côté assez violemment, pas étonnant, le vent a viré de 30 degrés et est passé à force 5 d’un coup. Cyrille à la barre ne pouvait pas y faire grand chose. J’ai fait enrouler le génois et prendre deux ris dans l’urgence. La mer s’est formée il est 13 heures et on a faim. On se met à la cape pour découvrir la manœuvre et le confort que cela apporte. Plus question d’aller tourner autour du Grand Léjon, Paimpol est loin en face et nous nous rapprochons de la côte. La mer et le vent se calment après une longue route d’approche face aux vagues, c’est encore une fois rincés que nous arrivons à Saint Quay.
Jeudi on prend notre temps, il n’y a pas un poil de vent. Ce soir l’écluse de Paimpol est à 23h30. Nous faisons la route au moteur. Il pleut, la visibilité est mauvaise. Sarah s’abrite dans le carré en lisant la bible (le cours des Glénans bien sûr pas l’autre bouquin) et les stagiaires tentent de faire une position. C’est là qu’elle a un échange sublime avec les équipiers affairés sur la carte :
Sarah : Mais comment on fait la nuit ?
Les autres : Ben la nuit on a les phares…
Sarah : On a des phares sur un bateau ?
J’en pleure encore de rire. La réflexion a cependant une certaine logique qui est loin d’être idiote.
Nous entrons dans la baie de Paimpol au moment où le vent revient, nous envoyons le génois et arrêtons le moteur. Encore quelques bords, pour aller dans le trou du chenal de la Trinité juste avant la nuit et la marée basse. Avant le coucher de soleil nous faisons des manœuvres de prise de coffre au moteur avec le vent et le courant sur des angles différents. Ce n’est pas évident de se forcer à marcher en crabe pour y arriver. Nous dînons au coffre et a 22h30 nous larguons celui-ci pour nos deux derniers miles jusqu’à Paimpol. Et c’est très tard dans la nuit que je rejoins ma bannette après avoir refait le monde et échangé nos aventures avec les bateaux rentrés en même temps que nous.
J’ai passé une semaine merveilleuse. Arrivé plein de tensions professionnelles et épuisé, je suis reparti serein, vaillant et requinqué. Le melting-pot Glénans a encore fonctionné.
Vendredi, nettoyage du bateau, une crêpe tous ensembles et c’est avec un pincement au cœur que je vois vois le premier sac à dos s’orienter vers la gare. Puis un autre… puis un autre… 17H00 c’est moi qui part, les larmes aux yeux.